jeudi 26 novembre 2009

Nos jeudis ...


"Chère Ga,

le ciel était bleu radieux par la fenêtre quand elle a dit que l'hiver la déprimait : les journées qui finissent tôt, la lumière qui fait défaut.

J'ai pensé qu'elle ne pouvait pas parler de Tokyo et ça m'a rappelé des souvenirs. Des souvenirs de goûters aux chandelles et au goût de cannelle alors que, le matin même, la lumière de la cuisine était allumée jusqu'à la fin du petit déjeuner et les réverbères jusqu'à la fin du trajet pour aller travailler.

Ça m'a rappelé l'hiver français, le vin chaud sur la grand'place, en descendant de la grande roue. Les joues et les mains gelées, les flocons qui dansent avant de s'écraser. La promesse d'une chaleur parfaite dès l'entrée, le parfum d'une soupe inventive ou d'un plat mijoté réchauffé.

Le ciel était bleu radieux par la fenêtre quand elle a dit que l'hiver la déprimait et le soleil brillait depuis potron minet : ici, il faut se lever avant le matin pour manger ses tartines à tâtons. Quant au déjeuner, jusqu'en janvier, il peut se prendre sur le balcon.

Chère Ga, je suis comme toi : j'aime l'heure où la nuit tombe.
Les jours bleus nous comblent de lumière à tel point qu'à l'heure du thé, on ne peut raisonnablement s'en sentir lésé.

Et les jours Baudelaire, il n'est jamais trop tôt pour que le noir profond nous aide à oublier qu'on n'a eu droit qu'à du gris dilué.

Oui, vraiment, j'aime cette heure précoce où, dans tous les quartiers de tout le pays, retentit la mélodie qui rappelle aux enfants qu'il faut rentrer se baigner et accorde aux plus grands le droit de penser à la soirée.
Oui, elle peut paraître prématurée mais pour qui, comme moi, ouvre les yeux aux premières lueurs de l'aube en hiver et en été, la nuit semble toujours méritée.

Car, si je n'ai jamais été une lève-tard, je suis vraiment, à présent, une fille du soleil levant."


"Chère Gwen,

on ne peut pas pousser les murs alors on fait des cabanes.

On investit les derniers espaces vacants, les derniers mètres cubes que l'on peut tirer de chaque pièce, entre les pieds de table, à l'angle mort de la porte. C'est petit ici ! Je reprends les mesures des meubles, des fenêtres, de l'épaisseur des plinthes, de la hauteur des tiroirs, de tout (comment se fait-il que je ne les connaisse pas encore par cœur ? ), tente le tout dernier chamboulement ; tout aura été expérimenté.

On est bien chez nous.

C'est un peu la navette spatiale, chaque chose a sa place - chaque chose à sa place ! Sinon gare au débordement.

Une nappe coincée dans la commode et le monde est refait.

Plus de bruit dans le salon à quatre, le salon du silence et le salon du calme. Le bazar c'est ailleurs. Pas de bruit juste celui des pages qu'on tourne, des reniflements mal élevés de temps en temps. Le salon à quatre est tellement discipliné et optimisé que personne n'y rentre ; personne d'autre. Chasse gardée.
Une nappe qui ne servait pas, pas de table assez grande pour elle, d'une nappe dans le tiroir on fait une tente au milieu du salon. Et magie des vases communicants, quand la nappe est sortie dans le salon, il n'y plus personne pour se plaindre ou se battre ou étaler ses affaires et ses pieds dans les affaires et les figures des autres.

C'est le délice de la chambre cachée, que l'on ne voit que dans les rêves, et où l'on s'écrie, subjugué dès l'entrée : "Je ne l'avais jamais remarquée !" "
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Nos Jeudis se disent /
où la chambre est un radeau est un bateau comme le soir est un vaisseau ; à "cette heure précoce" où "le monde est refait" de pluie.


Ce billet est reproduit intégralement sur la Table ; une copie de lettres échangées du bout de monde // où les heures se rejoignent dans un jardin, dans un matin, en ville, un coin de la cuisine ou dans le salon/chambre/vaisseau du jour, c'est le délice caché de "Nos Jeudis", et vous ?

3 commentaires:

  1. C'est un doux pillage,
    ça ! que l'on peut envisager comme un hommage
    et accepter
    sans modestie déplacée
    C'est mon avis, ça !
    Quant à celui de Mme Ga
    je vais lui envoyer un billet
    pour le lui demander !

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  2. le meilleur pillage qui soit je confirme ! merci donc de l'hommage...

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  3. Oui Mesdames je plaide coupable ; coupable du "meilleur pillage qui soit" !

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